De l'idole d'Apollon jadis adoré dans le chateau de Polignac, y étant encore à présent.
Chap. V
Cet idole est fait d'une pierre si bleue, comme dit l'antiquaire florentin, que grisatre, de 4 ou 5 pieds de haut, représentant encore bien après toute l'injure du tems et des hommes, un beau et grand visage long et large à proportion, jeune, sans poil au menton, comme d'un jouvenceau, la bouche ouverte ainsi que s'il vouloit parler, non pas entourée de rayons en forme de soleil, comme semble le vouloir représenter le meme antiquaire et Gruterus, mais d'une chevelure fort épaisse et touffue, longue et flotante partout jusques au-dessous du menton, tressée et frisée, blonde et dorée ainsi que quelques gens m'ont asseuré y avoir veu autrefois l'or, et c'est la vraie forme et figure en laquelle peintres, sculpteurs, poètes et viateurs ont peints le Dieu Apollon, témoin en sera Callimaque le dépeignant ainsi :
Toujours beau, toujours jeune, et jamais son menton ne bourgeonne de poil
Ainsi Horace :
Jeunes filles chantez moi
Diane votre déesse,
Jeunes garçons chantez-moi
Apollon, de qui la tresse
Non tendue croit sans cesse
Et Tibule au 2e livre des Elégies :
Viens çà net et gentil, prend ta robe pourprine
Et tresse joliment la perruque divine,
Ainsi que tu chantas Jupin victorieux
Quand Saturne chassa du règne ses ayeux
De meme un autre poète :
Je chante un Dieu péan, un grand dieu de Cinthie [Scythie]
Eternel beau à voir qui sa tresse replie
A plusieurs noeuds laus non tendre nourissant
D'un souci studieux son poil d'or bondissant
Philostrate en ses tableaux de plate peinture, décrivant le combat d'Apollon avec Phorbas :
" et est le Dieu, dit-il, icy peint avec sa perruque mais recueillie et troussée afin qu'il combate plus à l'aise du corps."
Les Athéniens, que nous avons dit avoir tenu pour patron et deffenseur de leur ville Apollon, prenoient peine d'entretenir en faveur d'iceluy une belle et grande perruque tressée avec des rubans d'or et d'argent qui se venoient rendre et recueillir à une cigale d'orfèvrerie, ainsi que le raporte Lucian après Thucidide en la vie de Thésée, nous aprend qu'anciennement les jeunes hommes nourrissaient en l'honneur d'Apollon leur chevelure jusques en l'age de puberté, auquel tems ils la coupaient et l'aloient l'offrir au temple d'Apollon.
La monnoie des Rhodiens que nous avons dit encore avoir eu pour Dieu tutélaire le soleil avoit d'un côté le visage du soleil à la façon d'un jeune homme sans barbe, la chevelure longue, ainsi qu'il est raporté par le docte Budé en son livre de Asse (1) et par le cardinal Baronius (2).
De cecy il ne falloit d'autre preuve que le bon trait duquel usa Denis, le Tyran de Siracuse, pour couvrir le sacrilège qu'il fit en otant la barbe de fin or de l'estatue d'Esculape fils d'Apollon, disant que c'étoit chose trop impertinente de voir que le père fut sans barbe et que le fils l'eut par trop longue.
Que si quelqu'un me dit qu'à bien considérer la teste d'Apollon du chateau de Polignac, meme comme elle est ci-dessous représentée au naturel, il semble qu'elle aie de la barbe sinon au menton, au moins à l'entour des joues, je luy répondroy que si cette grande chevelure qui se voioit sous le menton et à l'entour des joues est prise pour barbe et qu'elle prendre ses racines des joues, pour cela cette statue ne laissera de représenter ni devoir etre dite la teste d'Apollon, parcequ'il est asseuré qu'il y a eu certaines nations, meme les Assiriens au raport de Lucien, qui représentoient toujours Apollon avec une barbe fort longue et reprenoient les autres qui le faisoient sans barbe, voulant inférer qu'etre si jeune démontre quelqu'imperfection, laquelle ne devoit etre en estatue des Dieux et par cette raison ils soutenoient qu'il falloit représenter les Dieux en forme d'hommes ja parfait comme en l'homme barbu.
Cette pierre donc étant de cette maison donne assez à connoitre, outre la mémoire de l'antiquité, la tradition de père en fils et le nom qu'en est demeuré au chateau, à plusieurs de ses parties et aux seigneurs d'iceluy, que c'est le vray idole d'Apollon adoré par nos anciens Gaulois idolatres, elle fut sortie de son temple et exposée au beau milieu du chateau à la pluye et au vent par l'un des seigneurs ou dames d'iceluy, ainsi que le remarque Gabriel Siméon affin d'obvier aux abus, faire perdre et du tout abolir cette dévotion ou superstition que y avoient les bonnes gens du pais, de sorte que depuis il a été bien autant méprisé, bafoué et villipendé, qu'autrefois il avoit été tenu précieux et adoré.
Mais cet idole marquant si bien l'antiquité, l'honneur, la noblesse, la prééminence de la maison de Polignac devoit etre mieux conservé, non par superstition ou abus mais si bien plutot contre la superstition meme paienne et idolatre pour servir d'enseigne et de marque aujourd'huy et à tous les siècles à venir, à la grande fausseté illusion et tromperie qu'il y avoit en cette religion ou plutot irreligion, pour servir de montre de l'aveuglement auquel étoient réduits les pauvres gentils si abusés que d'adorer cette statue de pierre palpable, insensible, inanimée, si aveuglés que de croire que cette meme statue oyoit, entendoit, parloit et répondoit à toutes leurs demandes, pour servir finalement de sujet à tous les chrétiens, d'actions de graces et de remerciements envers la bonté souveraine, pour leur avoir dessillié les yeux, les avoir illuminés, garantis et délivrés de ces ténèbres plus que Cimmériennes, d'un si grand aveuglement, de la tyranie de l'Ennemi infernal.
Ce ne fut donc guières bien pris d'avoir voulu tout à fait ruiner cet idole et tete d'Apollon en la sortant de son temple et l'exposant à la pluie et au vent, et seroit bien fait s'il me semble de la conserver, non moins que nous voions de moindres antiques que cela etre curieusement recherchées, achetées à haut prix, gardés et conservés soigneusement par les plus grands rois et potentats de la terre.
Ainsi avons-nous veu de nos jours de combien l'invincible Henry le Grand d'heureuse mémoire chérissoit et conservoit ces vieilles antiques et combien à haut prix il acheta et fit aporter dans son Louvre l'idole meme de la déesse Diane d'Ephèse et autres semblables antiques, qui se voient placées aux niches de cette chambre toute de jaspe, de marbre, de porphir, d'or et d'azur que ce roy du tout Auguste faisoit construire et embellir pour la tenue de son Conseil.
Il me souvient du passage et arrivée dans le chateau de Polignac de deux gentilhommes allemands fort curieux de la recherche des antiques et aussi studieux à remarquer l'extraction et généalogie des plus grandes maisons de l'Europe, partie de laquelle ils avoient déja suivi et désiroient de la continuer à l'intention de les produire au jour, leur nom mérite d'avoir place en ce discours, celuy qui plus paroissoit et précédoit se nommoit Servatius Reichell, silésien, et l'autre Crispinius Geritius, borrusien. Ceux-ci firent bien tant d'état et d'estime de ce qui reste encore de cette idole d'Apollon qu'ils en eussent volontiers donné une grande somme de deniers portée en leur pais, ainsi qu'ils me firent voir avoir déjà employé plus de deux mille pistoles à l'achat de plusieurs antiques médailles et médaillons d'or, d'argent et de cuivre du tout rares et belles au possible.
L'entretien que je fis à ces gentilhommes dans ce chateau de Polignac durant 5 ou 6 jours de leur séjour ne se passa pas sans nous condouloir et faire nos plaintes contre l'audacieuse et par trop effrenée licence du soldat, le trop de facilité et peu de soin de ceux qui commandoient dans ce chateau pendant les troubles derniers des ligues et factions, auxquels on se seroit servi ordinairement pour but, et de blanc en tirant à l'arquebus[e], de cette teste et idole d'Apollon et auroit-on enlevé et arraché, pris et emporté ce qui étoit plus antique et remarquable dans ce chateau et temple d'Apollon et en tout le reste de ce chateau de Polignac.
Mais passe patience, puisque toutes ces choses ruinées ou perdues n'étoient que images mortes et reliques d'une superstition trompeuse, fabulleuse, maudite, damnable et du tout diabolique, aiant eu bruit et vogue dans ce chateau dans lequel je désirois bien autant mais beaucoup davantage d'avoir relever les reliques et vives images, dresser des autels, voire des églises tout entières à l'honneur et mémoire de ce nouveau Apollon, à ce beau soleil et lumière de son siècle, de ce glorieux saint et grand personage que je ne pourrois jamais assez nommer ni louer : St Sidoine Apollinaire, duquel ce chateau de Polignac, depuis le christianisme, a bien reçu plus de gloire d'honneur et de grandeur pour l'avoir eu pour son maitre, seigneur et possesseur, qu'il n'en avoit receu pendant le paganisme pour avoir eu chez luy les oracles du vieux Apollon dont voicy l'image et le portrait tel qu'il se voit encore à présent dans le chateau de Polignac, après que j'aurai icy raporté une lettre qui me fut écrite par ces seigneurs allemands :
S[alutem]. Laetamur vir clarisime tumorem tuum evanescere initium hoc totius argumentum est optimum non dimidium facti qui bene coepit habet ut nosti nos hic patienter tuas expectavimus litteras quibus acceptis et lectis in tuam ivimus sententiam uno excepto ne mitas ex loco satis longinquo equos speramus enim Anicium duos pro nobis abituros sit igitur certum te crastina die fore ad stim Paulinum nos te certo ibi videbimus tuasque aedes adibimus ut te salvum ac incolumen offendamus faxit Deus archiva d'Alegre coram contemplabimur nam quantum praesentia vestra nobis afferat adirementi tu ipse et testis multas complebimus lacunas in aliis familias beneficio vestrorum archivorum forte in aliis reperiemus quae possint servire domui Poliniaco manus enim manus lavat ut loquimur in proverbio id est mea familia explicat alteram faciemus omniaque in nubis erunt ut dominus Maurinus accedat cum suis annotatis etiam atque etiam rogamus Vale.
et au dessous : tui additissimis Servatius Reichell, Crispinus Gericus,
et au dessus : à Monsieur Chabron.
(2) Cardinal et historien italien (1538-1607) bibliothécaire de la Vaticane en 1597.